Dès le matin, un énooorme livre, les Vies* de Vasari, au milieu desquelles je pioche, choisis, hésite comme l'enfant chez le Confiseur idéal ; je le sais, il y a comme une contradiction (sans doute propre à tout lecteur) à regretter la perte de sa vie avant que de s'égarer dans celle des autres. Qu'importe, le lecteur a bien d'autres incohérences.
Beaucoup plus tard seulement, un vrai rayon de soleil découvre le ciel, c'est comme un orage à rebours, je n'en crois pas yeux : le ciel est bleu, un reflet blanc sur la vitre et qui violente la pupille : Giorgio * et moi pour un thé amoureux au jardin, sous la protection d'un ange bienfaiteur ! Qui l'eût cru ?
Plaisir qui ne se prolonge guère au delà de 16 heures... heure à laquelle Myrtille débarque à l'improviste, en larmes : Stéphane l'a quittée... Mais que dire de leur relation ? Une jeune femme amoureuse d'un personnage qu'elle vénère et qui l'a forgée à son image, ce depuis des années. L'a-t-il vraiment quittée ? Il me semble qu'il ne l'a même jamais conviée... et pour quitter quelqu'un, encore faut-il avoir su l'habiter, encore faut-il avoir su l'accueillir — l'un n'allant pas sans l'autre, j'en suis aujourd'hui persuadée.
J'ai eu mon Pygmalion. Je sais comme cette relation m'a successivement interrompue, gommée, détruite. Je sais cette manière de se laisser conduire en poupée creuse — l'ombre du marionnettiste, vous savez, l'abri vénéneux ; je sais tout le vide du ciel ouvert subitement lorsqu'ombre et fils s'absentent pour toujours, je sais l'abandon qui laisse sans repère, l'effondrement, la lente reprise du souffle. Myrtille dans mes bras, je ne fais que silence ; peur de la briser, elle qui n'est plus que verre.
* Les Vies des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes, Giorgio Vasari. Une édition française présentée par André Chastel est en cours de réédition chez Actes Sud, une Vie des peintres est disponible chez Grasset, dans la collection "Les Cahiers rouges".
Un ciel de Pygmalion (photo Chiara)