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La Dame à l'hermine
26 août 2007

D'un jardin l'autre: Hirek, le jardin d'un chanteur

Sur ma toile cette semaine : Avec vue sur Jardin (secret)

Le jardin d'Hirek est un jardin anglais. On parcourt ses chemins avec la certitude d'y trouver l'émotion qu'on y cherche, qu'elle soit de mots ou d'images, qu'on veuille s'y retrouver, s'y perdre. Le bosquet que je transpose ici s'appelle "Le Visage du père (1)". Il est le premier d'une série de six textes bouleversants (pour les trouver, suivez le chemin qui mène jusqu'au mois d'août en cliquant sur le lien ci-dessous).

"Le visage du père (1)

J’avais neuf ans. C’était le soir et nous faisions nos devoirs. Pour le cours d’histoire, ma sœur devait dessiner un arbre généalogique. Dans le salon où mon père me faisait la dictée des ‘mots d’usage’ de la semaine, elle avait demandé en quoi consistait un arbre généalogique. Mon père avait posé mon ‘cahier du jour’ et il avait sorti une feuille.
Tu es là. Ici il y a ton père, là ta mère. Là, ensuite, il y a ton pépé Marcel, ta mémé Paulette. Là, il y a ton pépé Wladyslaw et là, ta mémé Jozefa.
Ma mère s’était approchée en silence. Elle avait posé une main sur la table ronde du salon, fixant la page avec une attention douloureuse. Ma sœur avait demandé « et après ? ». Mon père avait tracé deux traits au-dessus du nom de ma grand-mère Paulette puis il avait écrit Louis et Maria. « Et les autres ? ». Ma sœur avait interrogé ma mère du regard. Je ne sais pas ma fille. Je ne sais pas qui étaient mes grands parents polonais, pas même leurs noms. Et les parents de pépé Marcel ? Papa nous avait alors dit, de la voix douce qu’il sait prendre parfois et qui me rassure : « Votre pépé Marcel a été abandonné à sa naissance. Votre pépé Marcel n’a pas de famille. »
Le repas fut triste. Personne ne parlait. Chacun à ses pensées. C’était inhabituel chez nous. En débarrassant la table ma sœur avait demandé comment elle allait bien pouvoir faire pour son devoir d’histoire. Il comporterait des trous. Elle ne voulait pas avoir une mauvaise note et surtout, elle ne voulait pas dire « ma maman ne sait pas » ou « mon pépé Marcel est un enfant de l’assistance». Ma mère avait pris un livre polonais dans la bibliothèque, au hasard. Elle avait dessiné les quatre traits correspondants aux quatre arrière-grands-parents polonais puis elle avait comblé les manques en prenant au hasard des noms dans le livre. Et pour pépé Marcel ? Aucune réponse. Mon père n’osa jamais le geste de ma mère. On en resterait là. Il y aurait toujours, dans le classeur d’histoire de ma sœur, des trous, des manques, des absences.
Des années plus tard, assis dans un bureau des archives de l’assistance publique, je me suis souvenu de cette scène. Il m'a semblé alors que tout partait de ce soir-là tout en commençant bien avant. Ce commencement, je l'ai cherché. J'en ai lu parfois des fragments dans les yeux de mes grands-parents. Le soir du devoir d'histoire est un point de départ, mais aussi une fin. J'ai raconté dans "Heure exquise" comment la découverte des lettres de Nette m'a enseigné la singulière malléabilité du temps, sa capacité à se tordre : De la ligne à la courbe, jusqu'à la boucle, comme un roseau, il plie, mais ne rompt jamais. Ainsi, je n'ai jamais vécu le départ vers le commencement comme un retour en arrière. En fait, plus le temps s'est courbé, plus j'ai avancé (...)"

La suite est ici

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Commentaires
C
Mais de rien !
M
Merci de la decouverte, j'ai beaucoup aime
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