Une autre mosaïque...
En rentrant hier, passant par le quartier de la Goutte d'or, puis par celui de Château Rouge, je me laisse prendre aux jeux de couleurs de la foule. Je me laisse prendre mais je ne prends rien vous savez, rien d'autre que des instantanés, des passages fugaces, ces petits rectangles de vies qui ne vous appartiennent pas, mais qui s'impriment dans vos mémoires, et assez fort pour que vous puissez, le soir venu, vous les réciter par coeur. Et derrière la vitre du bus, ce qui se passe devant moi c'est tout au plus une robe verte, un complet gris, une paire d'escarpins blancs trottinant aux côtés de petites baskets rouges, un groupe d'enfants-arlequins qui courent en souriant, cartables bringuebalants, un attaché-case au repos, des épis de maïs grillés sur un caddie blanc, un kilt de fan de rugby saisi par le vent... et puis aussi, des visages tristes, la misère allongée sur un banc, des attentes que le transport n'abolit pas sous vos yeux fuyants.
* *
*
Discussion houleuse pendant le repas avec Carole, devant le regard amusé de Célia et Paolo. La première, qui a tendance à avoir un avis radicalisant sur... disons à peu près tout — vous l'aurez compris, cette tendance m'agace un peu (notez également l'élégante litote) —, me parle d'un livre que je lui avais conseillé : Les Ecrivains contre l'écriture de Laurent Nunez. Ce qu'elle reproche au livre ? "L'arrogance de son auteur", sa manière "d'avancer en penseur révolutionnaire de la littérature", dans des terrains mille fois défrichés selon elle, le ton condescendant avec lequel il "dispense ses petites remarques à des prétendus non-initiés". (Je vous passe le détail, il me faudrait écrire pendant des heures et ma foi, s'il me faut vous l'avouer, j'ai très faim)
J'avais aimé ce livre. Je l'avais aimé pour ce ton léger et ironique (et non pas arrogant selon moi), qui justement rompait avec le sérieux de la question et la manière dont elle avait été traitée dans les ouvrages que j'avais lus jusqu'alors. Toujours est-il que Carole s'est lancée dans une diatribe véhémente qui, je le pense, m'était destinée bien plus qu'à Laurent Nunez...